La Minoterie des Alpes

Géraud Buffa

Conservateur en chef du patrimoine Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Extrait d’un article de 4 pages avec photos et schémas.

Affluent du Verdon, la rivière Issole marque la limite entre les communes de Saint-André-les-Alpes et La Mure-Argens. Au 19e siècle, la confluence de ces 2 cours d’eau a vu naître un quartier industriel et les établissements utilisant l’énergie hydraulique s’y sont multipliés. Un des plus récents d’entre eux est aussi celui dont l’activité s’est prolongée le plus tardivement : la minoterie installée par la famille Dol en 1902 dans une ancienne draperie n’a en effet fermé ses portes qu’en 1972.

Au moment de sa création, la Minoterie des Alpes faisait figure d’établissement modèle. Ses installations étaient caractéristiques de ces unités de production nouvelles qui fleurissaient un peu partout, ayant un rendement bien meilleur que celui des anciens moulins.

 

La minoterie de La Mure n’a jamais été un moulin très important. Sa production – farine de blé, mais également farine de seigle – est restée nettement inférieure à celle de ses principaux concurrents qui se trouvaient à Manosque ou à Sisteron. En 1924, les statistiques industrielles indiquaient que la minoterie se situait à la 5e place du classement des moulins du département. Malgré tout la Minoterie des Alpes ne pouvait pas être considérée comme un moulin local. Elle travaillait pour une bonne part avec les producteurs des communes environnantes mais ses approvisionnements se faisaient aussi à bien plus large échelle, et le blé provenait notamment du Val de Loire dans les années 1960. Les archives ont même conservé la trace de livraisons en provenance du Canada. La minoterie de La Mure était donc un moulin industriel de taille moyenne, dont le fonctionnement était familial.

Achille Dol mourut peu après la Première Guerre mondiale. Ses fils Joseph et Firmin assurèrent la relève, jusqu’à ce que le fils de ce dernier, Ernest, prenne leur suite à la fin des années 1950. Au fil des ans, les Dol n’ont apporté que peu de modifications aux installations d’origine.

Une première modification a consisté à acquérir un moteur électrique, vraisemblablement en 1912, pour produire de l’électricité à partir du mouvement de la turbine. Cette électricité servit notamment à l’éclairage jusqu’à ce que l’usine soit raccordée au réseau public.

La principale modernisation est intervenue vers 1932. C’est à ce moment-là qu’un nouveau broyeur a été acquis, et surtout qu’a été aménagé le grand silo de stockage des grains qui traverse tout le bâtiment dans sa hauteur, de l’étage de la turbine à celui de la bluterie. Le vieux système de stockage n’a pas été conservé, mais une des anciennes trappes qui permettaient le versement dans les trémies séparées pour le blé et le blé sale est toujours visible au rez-de-chaussée. Le nouveau silo, beaucoup plus vaste que les précédents, était lui aussi compartimenté. À sa base, une vis sans fin horizontale mêlait les différents types de blé dont un volume déterminé était extrait des compartiments pour composer le mélange voulu, augmentant encore l’automatisation des procédés. Enfin, c’est peut-être à cette époque que la minoterie fut équipée d’un système de purification de l’air. La filtreuse à air se trouve au deuxième étage, à côté du plansichter. Les nombreux manchons de ce collecteur à poussières absorbaient l’air ambiant de la minoterie grâce à une pompe pour le débarrasser des particules de farine dont il était surchargé.

S’il offre aujourd’hui la possibilité d’observer le moulin quasiment dans son état d’origine, ce manque de modernisation a naturellement nui à son développement lorsqu’il était en activité. Avec ses vieux systèmes de vis sans fin et de chaînes à godets, avec son processus de production qui nécessitait régulièrement l’intervention physique du meunier pour réintroduire certains produits dans les broyeurs, la minoterie de La Mure perdit peu à peu l’avantage qu’elle avait à ses débuts sur ses concurrents locaux. Lorsqu’il reprit l’affaire en 1958, Ernest Dol disposait d’une usine qui n’était plus vraiment compétitive et dont la survie dépendait de quelques acheteurs. Les années 1960 furent ainsi celles d’un rapide déclin. Les achats de blé se réduisirent significativement. La production de farine suivit naturellement le même chemin. Elle fut divisée par 2 entre 1963 et 1971. Comme de nombreuses autres minoteries, celle de La Mure fut victime du mouvement général de concentration de la production au sein de quelques grands établissements. Depuis l’instauration de contingents pour les droits de mouture en 1935-1936, ce mouvement n’a cessé de s’amplifier. Il a été fatal à de très nombreuses minoteries dans les années 1970 et celle de La Mure a cessé son activité en octobre 1972. Ses droits de mouture, qui se montaient officiellement à 15 390 qx par an, furent revendus en 1979 à une minoterie située dans l’Yonne.

Depuis les années 2000, le Pays Asses, Verdon, Vaïre, Var travaille à la valorisation du patrimoine culturel de son territoire pour faire connaître sa riche histoire aux nombreux visiteurs attirés par un environnement naturel exceptionnel. C’est ainsi qu’est né le projet Secrets de fabriques. Il vise à mettre en valeur différents sites liés aux activités industrielles ou proto-industrielles qui ont largement contribué au développement de ces vallées au fil des siècles.

Depuis 1972, la minoterie de La Mure a été, contre vents et marées, maintenue dans son état grâce à la volonté d’Ernest Dol et de sa fille. Cet état de conservation remarquable a ainsi rendu possible une reconversion patrimoniale et justifié un projet d’ouverture au public. La collaboration étroite entre la commune devenue propriétaire du moulin, le Pays, et l’ensemble des collectivités locales, notamment la Communauté de communes du Moyen Verdon et la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a abouti à la réhabilitation des bâtiments de production qui ont été inaugurés en juin 2016.